Charlotte

Celui qui, vivant, ne vient pas à bout de la vie,
a besoin d'une main pour écarter un peu le désespoir
que lui cause son destin.

Kafka Journal, 19 octobre 1921.

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Charlotte

Charlotte et ses grands-parents

Charlotte et ses Grands-parents maternels.

1

A chaque nouvelle rencontre avec des amis,
Je me demande si je dois me re-présenter.
On n’entend jamais nos proches nous dire,
Je m’appelle Mary Maatouk.
Ou je m’appelle Adrien Lachhab.
En attendant, je m’appelle quand même Geneviève Masioni,
Et il n’y aucune raison particulière pour laquelle je porte mon prénom.
Mes parents trouvaient ça jolie, Geneviève.
C’est tout.
Et pendant longtemps, j’ai trouvé ça frustrant.
Je cherchais du sens, des racines.
Et je n’avais qu’un prénom sans allusion.
Et puis, en grandissant, je me suis dit que c’était plus léger.

Ils n’ont pas mis le poids de leur névrose,
De leur famille, de leurs ancêtres, de leurs croyances dans mon prénom.
Ils n’ont pas mis de psychanalyse, de sous-entendus particuliers.
Ils n’y ont mis aucune attente.
Je pouvais tout construire.
Aujourd’hui, c’est l’histoire d’une femme puissante.
Et qui a un prénom différent du mien.
Elle s’appelle Charlotte.
Et c'est David Foenkinos qui est allé la trouver.

2

Charlotte est devant le cabinet de Moridis.
Elle sonne.
C’est le docteur en personne qui ouvre.
Ah… Charlotte, dit-il.
Elle ne répond rien.
Elle le regarde.
Et lui tend alors la valise.
En disant c’est toute ma vie.

La vie de Charlotte Salomon, artiste-peintre allemande,
Exclue par les nazis de toutes les sphères de la société allemande,
Est une vie passée sous le filtre de la création.
Une vie dont on garde différents souvenirs.
Que se passe-t-il quand on découvre son oeuvre ?
Une émotion esthétique majeure.
C’est un tourbillon de puissance et d’inventivité.
Une émotion d’une rare intensité.

3

Charlotte apprend à lire son prénom sur une tombe.
Elle n’est donc pas la première Charlotte.
Il y eut d’abord sa tante, la soeur de sa mère.
Charlotte comprend tôt que les morts font partie de la vie.
De sa vie.
Il y a eu la mère de sa grand-mère.
Puis son frère, dont on disait qu’il était malheureux à cause de son mariage.
Puis sa fille unique, sans la moindre raison.
Et puis son oncle, il ne faut pas l’oublier.
L’oncle de la grand-mère de Charlotte.
Et sa soeur, et le marie de sa soeur, et aussi son neveu…
Avant Charlotte, la première, la soeur de sa mère.
Treize ans plus tard, sa mère elle-même.
Franziska.
Franziska estime qu’il y a une hiérarchie dans dans l’horreur.
Un suicide quand on a un enfant est un suicide supérieur.
Dans la tragédie familiale, elle pourrait occuper la première place.
Qui contesterait la suprématie de son saccage ?
Ainsi est faite la vie de Charlotte.
D’une succession d’événements sinistres.

4

Sous l’oppression nazie, le 21 septembre 1943, à 26 ans,
Charlotte est arrêtée dans sa maison à Villefranche-sur-mer,
Déportée et assassinée au camp d’Auschwitz alors qu’elle était enceinte.
Mais on garde d’elle le souvenir d’une vie marquée par une tragédie familiale,
D’une femme qui combattit son destin funeste,
S’extrayant de l’horreur pour exister.
Pour résister.
C’est le portrait qu’on veut retenir de cette femme saisissante.
Car comme le dit Walter Benjamin,
Un philosophe allemand qu’aimait profondément Charlotte,
« La véritable mesure de la vie est le souvenir. »

En 1940, Charlotte entreprend la composition d’une oeuvre majeure.
Une oeuvre picturale autobiographique.
Vie ? ou Théâtre ?
Pour survivre, elle doit peindre son histoire.
C’est la seule issue.
Elle va peindre ses souvenirs de manière romanesque.
Les dessins sont accompagnés de longs textes.
C’est une histoire qui se lit autant qu’elle se regarde.
Avec les dessins et le récit, elle ajoute des indications musicales.
La bande sonore de son oeuvre.
On voyage avec Bach, Mahler ou Schubert.

5

Charlotte offre le mode d’emploi de son oeuvre.
La création des peintures suivantes doit être imaginée comme suit :
Une personne est assise au bord de la mer.
Elle est en train de peindre.
Tout à coup, un air lui traverse l’esprit.
Quand elle commence à le fredonner…
Elle se rend compte que l’air s’accorde exactement…
Avec ce qu’elle essaye de coucher sur le papier.
Un texte se forme dans sa tête.
Et elle commence à chanter l’air avec ses propres mots.
Encore et encore.
D’une voix forte jusqu’à ce que la peinture semble achevée.

Dans une lettre, Charlotte écrira ces mots de conclusion :
J’étais tous les personnages dans ma pièce.
J’ai appris à emprunter tous les chemins.
Et ainsi, je suis devenue moi-même.

Geneviève Masioni

Charlotte

selon Foenkinos

Le roman Charlotte, de David Foenkinos, n’est pas seulement le récit de la vie d’une jeune peintre allemande. Le livre tire son originalité des diverses interventions de l’auteur, visant à informer sur sa démarche, la manière dont le récit a été pensé et construit. A travers le récit de Charlotte, c’est aussi celui de l’auteur que nous retrouvons. Le récit de plusieurs années de recherches, de son voyage sur les traces de l’artiste. Une recherche effrénée pour atteindre une connaissance parfait du détail, une réelle vérité dans le récit. L’oeuvre autobiographique de Charlotte Salomon, Vie ? ou Théâtre ?, dont s’inspire l’auteur fait lui-même douter de la véracité des faits racontés. Où est la vie ? Où est le théâtre ? Qui peut connaître la vérité ? C’est la vérité de Charlotte. Une vérité artistique. Foenkinos découvre Charlotte en 2004, lors d’un voyage littéraire (appelé mission Stendhal) en Allemagne au cours duquel une amie lui recommande une exposition des gouaches de la peintre. Époustouflé par la beauté de ces dernières, Foenkinos se laisse séduire par l’histoire de Charlotte. Sa passion fût telle qu’il eut beaucoup de mal à trouver les mots pour la conter. Angoissé à l’idée de ternir la vie de son héroïne.

Sa principale source d’inspiration, Vie ? ou Théâtre ?, lui donne l’idée d’entreprendre un travail de recherche poussé sur l’artiste. Des années de voyage en Allemagne (Berlin), aux Pays-Bas (Amsterdam), et dans le sud de la France (région de Nice) lui permettent de recueillir des informations auprès des vestiges de la famille Salomon et de l’entourage de Charlotte. Par souci de clarté et par goût de la vérité, l’auteur choisit de séparer ses découvertes de l’histoire en ajoutant des parties où il explique les résultats de ses recherches. Ainsi, dans la troisième partie du livre, à la huitième sous-partie, Foenkinos raconte son trouble et ses plus gros problèmes durant la rédaction : “Pendant des années, j’ai pris des notes. J’ai parcouru son oeuvre sans cesse. [...] J’ai tenté d’écrire ce livre tant de fois. [...] Quelle forme mon obsession devait-elle prendre ?” Celle d’un verset. Il explique, lors d’une interview, que le choix de cette forme permet de marquer la respiration, par respect pour Charlotte. En outre, il justifie le choix du titre, Charlotte au détriment de “Charlotte Salomon” - qu’il juge trop long, par l’envie d’être plus proche de la jeune femme qu’elle était. Ainsi naquit la quête d’un “écrivain hanté par une artiste, et qui part à sa recherche”.

Mary Mattouk

Autoportrait de
        Charlotte Salomon

"Il me semble que quelqu'un joue au ballon avec le monde, ou le Socrate chantant."

David Foenkinos

Biographie

David Foenkinos est un romancier, dramaturge et réalisateur français né le 28 octobre 1974 à Paris. Son enfance se caractérise par l’absence de ses parents et une maladie cardiaque rare pour un adolescent (infection de la plèvre). Il est hospitalisé dans un état critique pendant plusieurs mois. A partir de cette période, il commence à s’intéresser à la littérature, la peinture et la musique, goût qu’il retransmet à travers certaines de ses œuvres. Il fait ses études à la Sorbonne, tout en suivant un parcours dans une école de musique où il s’initie à la guitare. Un de ses premiers objectifs est de fonder un groupe de musique.

Il décide pourtant de se tourner vers l’écriture. Son premier roman, Inversion de l’idiotie, est publié par l’éditeur français Gallimard en 2002. Pour cet ouvrage, il obtient le prix François-Mauriac. Cet événement marque le début de sa carrière d’écrivain. En plus de l’écriture, le jeune auteur met un pied dans le monde du cinéma en collaborant avec son frère Stéphane Foenkinos. 2006 est l’année où il réalise son premier court-métrage baptisé Une histoire de pieds. A nouveau, il adapte au cinéma, à l’aide de son frère, l’un de ses plus célèbres roman, La Délicatesse, paru en 2009. Le film sort en 2011 dans les salles de cinéma et est deux fois nommé aux Césars de 2012 : pour la Meilleure adaptation cinématographique et le Meilleur film.

Son ouvrage le plus célèbre à ce jour reste toutefois Charlotte, publié en 2014. Le roman eut un réel succès en librairie avec plus de 450 000 exemplaires vendus. Cet ouvrage est aussi considéré comme le roman préféré des libraires et obtient, la même année, le prix Renaudot et le prix Goncourt des lycéens. Par ailleurs, selon des sources proches de l’auteur, un projet d’adaptation cinématographique de Charlotte serait envisagé par ce dernier.

Adrien Lachhab

Critiques

de l'équipe

1

Ma critique la plus virulente porte sur le fond avant la forme. Le fond en effet fait naître une certaine gêne en raison des interventions personnelles de l’auteur. Le passage du narrateur à l’admirateur - un touriste sur les pas de Charlotte -, dérange au départ car il introduit une rupture dans la lecture. Une rupture que j’ai souvent trouvé incongrue. Les remarques sur le parcours de l’auteur retraçant la vie de la peintre apportent toutefois, quelques fois seulement, des informations bienvenues sur le devenir des lieux qu’a fréquentés l’artiste. En réalité, cette rétrospective, ce recul forcé et parfois brusque, hors du conte de sa vie, donne véritablement corps à son histoire. La forme séduit davantage. La mise en page en versets donne un rythme à la lecture, guide le lecteurs et accompagne ses émotions. L’auteur explique que cette façon d’écrire, en cascade, marque les respirations. Aller à la ligne pour respirer, pour supporter cette émotion qui vous étouffe en découvrant Charlotte. Le ton captive aussi par sa simplicité. On s’étonne même que cette simplicité soit appliquée à une telle histoire.

J’ai beaucoup aimé la façon dont Foenkinos a raconté la vie de Charlotte Salomon, sans ajouter de détails historiques. Il a romancé sa vie de manière à donner envie au lecteur de poursuivre l’aventure de Charlotte. Avec un vocabulaire précis, sans être trop compliqué, le livre ne m’a pas paru difficile. Il raconte la vie de celle-ci de façon chronologique : d’abord la situation de ses grands-parents et de ses parents, ce qui rend le personnage encore plus attachant et nous permet de comprendre l’histoire de manière plus précise. Au niveau de la mise en page, le livre est assez original avec des phrases courtes qui rendent la lecture facile et rapide. J’ai toutefois trouvé que cette mise en page en versets pouvait surprendre. Personnellement, cela m’a fait perdre le fil de l’histoire, de temps en temps. Outre cette mise en page qui m’a dérangée, l’intervention du narrateur, le récit de ses aventures sur les traces de Charlotte Salomon, m’a un peu perturbé. Il intervient en effet au cours de l’histoire sans prévenir (ce qui m’a surprise la première fois que j’ai lu « je » en plein milieu d’une page), pour expliquer ses recherches. J’ai trouvé que ses interventions étaient parfois mal placées et peu pertinentes. Je pense plus particulièrement à l’une de ses premières interventions avec la description de l’école où était Charlotte. Malgré ce détail, je ne cache pas que j’ai trouvé les anecdotes de Foenkinos très intéressantes, notamment à la fin du livre avec la famille du docteur Moridis.

Geneviève Masioni

2

J’ai beaucoup aimé la façon dont Foenkinos a raconté la vie de Charlotte Salomon, sans ajouter de détails historiques. Il a romancé sa vie de manière à donner envie au lecteur de poursuivre l’aventure de Charlotte. Avec un vocabulaire précis, sans être trop compliqué, le livre ne m’a pas paru difficile. Il raconte la vie de celle-ci de façon chronologique : d’abord la situation de ses grands-parents et de ses parents, ce qui rend le personnage encore plus attachant et nous permet de comprendre l’histoire de manière plus précise. Au niveau de la mise en page, le livre est assez original avec des phrases courtes qui rendent la lecture facile et rapide. J’ai toutefois trouvé que cette mise en page en versets pouvait surprendre. Personnellement, cela m’a fait perdre le fil de l’histoire, de temps en temps. Outre cette mise en page qui m’a dérangée, l’intervention du narrateur, le récit de ses aventures sur les traces de Charlotte Salomon, m’a un peu perturbé. Il intervient en effet au cours de l’histoire sans prévenir (ce qui m’a surprise la première fois que j’ai lu « je » en plein milieu d’une page), pour expliquer ses recherches. J’ai trouvé que ses interventions étaient parfois mal placées et peu pertinentes. Je pense plus particulièrement à l’une de ses premières interventions avec la description de l’école où était Charlotte. Malgré ce détail, je ne cache pas que j’ai trouvé les anecdotes de Foenkinos très intéressantes, notamment à la fin du livre avec la famille du docteur Moridis.

Mary Maatouk

3

La vie de Charlotte Salomon fut très difficile et triste durant plus de deux décennies. C’est une femme qui a vécu à travers l’amour de la peinture et de l’art. Charlotte a toujours vécu à côté de la mort : la tragédie de sa famille ou même sa propre mort alors qu’elle attendait un enfant.la surveille de très près. Dans cette œuvre, la mort prend un axe et une dimension centrale sur tout le reste du livre. On peut avoir l’impression que la mort a gagné dans l’histoire. Avec toutes ces tragédies et ces massacres Charlotte se retrouve prisonnière de la mort. Elle torture et fait souffrir Charlotte à travers la lecture de l’ouvrage. La souffrance et la mort rendent Charlotte de plus en plus forte à travers le temps. La haine envers une ethnie a pris des dimensions de plus en plus grandes, et surtout non expliquées. L’auteur David Foenkinos en écrivant son livre s’est projeté dans cette fille pour comprendre à quoi ressemble la nature humaine et les mentalités à l’époque des régimes totalitaires, en l’occurrence le régime nazi. Je peux vulgairement dire qu’il a fait un bon dans le passé spécialement pour se rapprocher de Charlotte. Aujourd’hui, Foenkinos donne un « seconde vie » à Charlotte dans le livre. A chaque page qu’on lit, j’ai l’impression d’être envoyé aux côtés de Charlotte. Le roman Charlotte m’a paru simple à lire et à comprendre, c’est un très bon roman de poche et je conseille à beaucoup de personnes de le lire. Il y a une bonne disposition des lignes sur chaque page. Le texte est aéré, ce qui rend le roman agréable à lire.

Adrien Lachhab

Jeu

sur le roman

Le jeu comporte quatorze questions. Scrollez pour les voir toutes.

A propos

du projet

Notre projet s’articule autour de la thématique “Charlotte d’après le livre éponyme de David Foenkinos”, paru en 2014 aux éditions Gallimard. L’objectif consiste très simplement à faire découvrir la peintre allemande Charlotte Salomon à travers ses oeuvres picturales. Ce site culturel a pour prétention de faire vivre une expérience unique : conter la vie de l’artiste à la manière un roman graphique.

Sous l’oppression nazie, le 21 septembre 1943, à 26 ans, Charlotte est arrêtée dans sa maison à Villefranche-sur-mer, déportée et assassinée au camp d’Auschwitz alors qu’elle était enceinte. On choisira pourtant de garder d’elle le souvenir d’une vie marquée par une tragédie familiale, d’une femme qui combattit son destin funeste, s’extrayant de l’horreur pour exister. Pour résister. C’est le portrait qu’on veut retenir de cette femme saisissante car comme le dit Walter Benjamin, un philosophe allemand qu’aimait profondément Charlotte, « La véritable mesure de la vie est le souvenir. »

Les couleurs, la vivacité et le dynamisme de ses peintures transforment ainsi sa vie et sa personne en des objets d’art, comme si elles étaient déjà disposées au regard de quelqu’un qui serait attentif à leur beauté. C’est une histoire qui se lit autant qu’elle se regarde (voir onglet “Découvrir Charlotte”). Où est la vie ? Où est le théâtre ? Qui peut connaître la vérité ? C’est la vérité de Charlotte. Une vérité artistique.

Collection Jewish Historical Museum, Amsterdam

© Charlotte Salomon Foundation

Pour les gouaches

Crédits

Gouaches et photographies

Les gouaches de Charlotte Salomon sont tirées de l'oeuvre Leben ? oder Theater ?, à l'exception de l'oeuvre en première page Autoportrait, 1940.

Les gouaches ainsi que les photographies proviennent des collections du Jewish Historical Museum d'Amsterdam.

Couverture : gouache tirée de Leben ? oder Theater ?.

Première page : Autoportrait, 1940.

« Créer une oeuvre, c’est créer un monde. »

Kandinsky Du Spirituel dans l'art, 1910.

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